La Pierre Kerlinkin
Sur le plateau qui s’étend entre la clairière de Sainte Sabine et l’ermitage de Saint Arnould, entre les ruines des fermes des Lainfaings et du Faing des Grêves, se dresse à 745 mètres d’altitude un énorme de bloc de pierre que l’on nomme la Pierre Kerlinkin.
La présence de cette pierre isolée à cet endroit, là où il n’y avait autrefois que prés et champs, a intrigué. Il s’agit en effet d’un bloc erratique, c’est-à-dire d’une masse rocheuse qui a manifestement été transplantée dans un autre lieu que celui d’où elle a été tirée.
Quelle a donc été cette force colossale qui a permis de déplacer une telle pierre ?
On a évoqué, en référence au nom d’origine celtique de ce rocher, la force des hommes qui, à une période préhistorique, aurait amené en ce lieu ce mégalithe et l’aurait dressé pour en faire un objet de culte, tels ces monuments que l’on rencontre en Bretagne ou en Angleterre. Mais la plupart des auteurs estiment plus vraisemblable que cette force capable de soulever une telle masse est celle des glaciers, qui autrefois recouvraient totalement cette montagne.
La Pierre Kerlinkin est un énorme bloc de grès rouge d’une hauteur de presque cinq mètres et qui mesure à sa base environ huit mètres de longueur et de un à un mètre cinquante de largeur. Taillée en forme de fer de lance, elle est orientée d’Est en Ouest, de sorte que ses faces sont tournées vers le Sud et le Nord. Son poids a été estimé à environ 132 tonnes.
La Pierre Kerlinkin paraît avoir été arrachée à une falaise de grès, tel qu’on en voit actuellement aux bancs de La Mousse et sur la ligne de crête jusqu’au col du Singe. Sur ces hauteurs, le grès est disposé en strates horizontales plus ou moins dures, de sorte que la couche la plus compacte, qui résiste mieux à l’érosion, s’avance en formant sous elle des abris sous roche.
Le glacier, qui recouvrait ces hauteurs, a détaché une partie de cette masse rocheuse et l’a transportée à plusieurs centaines de mètres de là, sur un terrain dégagé. Le bloc de grès, coincé dans la glace et bousculé par les mouvements du glacier, s’est retrouvé placé verticalement dans sa position actuelle. Peu à peu la glace a fondu, laissant le bloc de pierre fiché verticalement en terre.
Les strates de la Pierre Kerlinkin sont en effet verticales, ce qui démontre que le bloc a été dressé, puisque la position naturelle des couches sédimentaires est horizontale.
S’il est donc peu probable que cette pierre ait été dressée par la main de l’homme, il est par contre possible que des cérémonies religieuses se soient déroulées sur ce site.
Il a été en effet relevé sur le sommet de cette pierre des cupules et des rigoles, certaines d’origine naturelle, puisqu’elles suivent les strates de la pierre, mais d’autres taillées par la main de l’homme.
De plus, le caractère isolé de ce monolithe n’a pu qu’attirer l’attention des peuples primitifs. Son orientation Est-Ouest a pu inspirer les adeptes du culte du soleil. Son nom enfin, qui paraît d’origine celtique, laisse supposer qu’il fut dans les temps reculés un objet de culte. Mais il faut bien convenir qu’aucun témoignage ne vient confirmer ces extrapolations.
Le terme Ker semble incontestablement d’origine celtique, puisqu’il désigne en Bretagne le village et la maison. Il peut également signifier une enceinte sacrée. Certains auteurs ont voulu cependant donner à ce toponyme une origine germanique. Ils prétendent que Kerlinkin serait dérivé de Karl, c’est-à-dire de Charlemagne, qui a fait quelques séjours dans la région de Remiremont. Ou bien, se fondant sur une légende, il rattache ce nom à Kerl, gamin, pour signifier une pierre d’où viennent les enfants.
A dire vrai, ces recherches étymologiques sont décevantes, puisqu’aucune de ces explications n’est certaine. De même, les légendes qui entourent la Pierre Kerlinkin ne reposent sur aucun fondement sérieux.
Il serait bien sûr tentant de voir dans ce mégalithe un monument druidique, ou, comme le veut une légende un lieu de refuge pour les fées du massif du Fossard. Mais rien ne vient confirmer ces hypothèses.
On raconte qu’aux enfants qui désiraient connaître comment ils sont venus au monde, il était répondu qu’ils étaient issus de la Pierre Kerlinkin. Ceux qui étaient sceptiques, on les conduisait jusqu’à cette pierre pour leur montrer la porte sans serrure et sans gond qui s’est ouverte une belle fois à minuit pour leur livrer passage.
A dire vrai, cette légende n'est pas propre à la Pierre Kerlinkin. Dans beaucoup de hameaux et de villages en effet, on désigne des pierres ou des falaises au pied desquelles naissaient les enfants.
On raconte aussi qu'au temps du pèlerinage à Sainte Sabine, pendant que les jeunes filles déposaient une épingle sur l'eau de la source pour savoir si elles se marieraient dans l'année, les jeunes mères venaient poser la main sur la Pierre Kerlinkin en signe de vénération et de reconnaissance.
Xavier Thiriat indique, dans son ouvrage « Gérardmer et ses environs », que, selon la croyance populaire, cette pierre oscille sur sa base chaque fois que sonne la grosse cloche de Vagney. Un autre auteur ajoute malicieusement qu’elle pirouette trois fois sur elle même à midi le jour du samedi saint, alors que ce jour là, chacun sait que les cloches sont en voyage.
La Pierre Kerlinkin garde donc son mystère. Elle a probablement été amenée à cet endroit par les glaciers. Mais de l’origine de son nom, nous ne savons rien de certain. De même les légendes qui y sont attachées paraissent aussi fantaisistes les unes que les autres.
(Remerciements à Bernard)